En adoptant la loi Pacte en 2019, la France a été l’un des premiers Etats à avoir défini la notion « d’actif numérique » et à avoir régulé certains sujets essentiels liés à l’écosystème de la technologie blockchain et des actifs numériques.
L’apport majeur de la loi Pacte, en la matière, tient notamment à la création d’un régime encadrant les Initial Coin Offering (« ICO ») ou Offre au Public de jetons, et l’activité des Prestataires de services sur actifs numériques (« PSAN »).
En effet, le Code monétaire et financier (« CMF ») prévoit désormais que les prestataires souhaitant fournir en France des services de conservation d’actifs numériques, d’achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal, d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques ou d’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques sont soumis à une obligation d’enregistrement préalable auprès de l’AMF.
Dans l’examen de la demande d’enregistrement, l’AMF vérifie notamment que le PSAN se conforme aux obligations prévues par le Code monétaire et financier en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (« LCB-FT ») et en matière de gel des avoirs. Ce nouveau régime permet ainsi de limiter les risques LCB-FT liés aux opérations portant sur des actifs numériques.
A date, l’AMF a procédé à l’enregistrement de près de 30 PSAN.
Ces prestataires qui fournissent les quatre services mentionnés ci-dessus, mais aussi pour ceux qui veulent fournir six autres services (exemple : la réception et la transmission d'ordres sur actifs numériques, la gestion de portefeuille d'actifs numériques, le conseil aux souscripteurs d'actifs numériques, …) peuvent solliciter un agrément optionnel délivré par l’AMF leur permettant notamment de procéder à des opérations de publicité par voie électronique.
Malgré l’intérêt que présente l’obtention de cet agrément, aucun n’a été délivré à notre connaissance par l’AMF. Cette absence d’agrément dans l’écosystème s’explique possiblement par les exigences complémentaires très contraignantes posées par le législateur (fonds propres, assurance, etc.).
Outre le fait d’avoir imposé le respect d’un certain nombre de règles aux PSAN, la loi Pacte a surtout consacré un droit au compte bancaire au bénéfice de ces prestataires enregistrés. Les établissements bancaires sont censés mettre en place des règles d’accès au compte objectives, non discriminatoires et proportionnées.
Si la portée de ce droit au compte demeure incertaine en pratique, il s’agit tout de même d’une disposition qui, symboliquement, confirme la place à prendre des professionnels de l’écosystème Blockchain et des actifs numériques dans l’économie.
L’adoption future du Règlement européen MiCa, « Markets in Crypto-assets Regulation », actuellement en discussions au sein des instances de l’Union européenne et dont l’adoption est attendue courant 2022-2023, constitue également une étape majeure puisque cette nouvelle règlementation permettra de renforcer et d’uniformiser, au niveau européen, le régime auquel seront soumis notamment les PSAN.
Si la proposition de la Commission européenne est similaire au régime prévu par le droit français, il est important de noter que la nouvelle régulation pourrait imposer une obligation d’obtenir un agrément auprès de l’autorité étatique compétente. Le nouveau cadre règlementaire renforce le dispositif existant en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT).
L’objectif de ce nouveau texte serait ainsi d’améliorer le développement de l’écosystème tout en encadrant juridiquement les crypto-actifs et en garantissant une concurrence loyale entre les acteurs intervenant dans ce secteur, et ce tout en assurant la protection des consommateurs. Vaste programme !
Le second pan essentiel de la réglementation en vigueur en France est relatif à l’existence d’un régime encadrant les opérations d’ICO. Un émetteur souhaitant procéder à une offre au public d’Utility tokens, c’est-à-dire de jetons garantissant l’accès à de futurs produits et services d’une entreprise, dispose de la faculté d’obtenir un visa auprès de l’AMF.
Au même titre que pour l’agrément des PSAN, ce visa est optionnel et est soumis au respect d’un certain nombre de règles(présentation d’un document d’information, dispositif LCB-FT etc.).
Toutefois, il présente un intérêt majeur pour l’émetteur de jetons puisqu’en obtenant ce visa, ce dernier peut procéder à des opérations de démarchage et de parrainage ou mécénat afin de promouvoir l’opération pour laquelle le visa a été délivré. En d’autres termes, le visa prévu par le CMF permet à l’émetteur de jetons d’atteindre un public plus important.
Malgré les apports considérables de la loi Pacte et en raison de l’évolution rapide des technologies, certains aspects et opérations liés aux actifs numériques ne sont soumis à aucune règlementation et soulèvent aujourd’hui de nouvelles problématiques juridiques.
À la suite de la vague des ICOs, les entreprises se sont également intéressées aux Security Token Offerings, les« STO ».
Autre catégorie d’actifs numériques, les Security tokens, ou jetons financiers/d’investissement, sont des actifs financiers« tokenisés » qui permettent aux investisseurs de spéculer sur la valeur desdits actifs. A la différence d’un Utility token, un Security token est considéré comme un véritable investissement puisque les acquéreurs ne sont pas intéressés par un quelconque accès à un produit ou à un service d’une entreprise mais ont pour objectif de réaliser des profits.
A défaut d’un régime propre, les STOs sont soumis à la règlementation préexistante. Ainsi, en France, les offres au public de titres de capital ou de titres de créance « tokenisés » seraient soumises au respect des règles prévues par le Règlement 2017/1129 dit« Règlement Prospectus 3 ».
Cette absence de règlementation propre aux STOs rend le développement de marchés secondaires de Security tokens plus complexe. Cette difficulté a été mise en exergue par l’AMF en mars 2020 qui a indiqué « que pour proposer un réel marché secondaire des security tokens et exploiter une plateforme de négociation au sens de la Directive MIF 2, un agrément entant que système multilatéral de négociation (SMN) ou de système organisé de négociation (OTF) serait nécessaire », et ce afin de remplir les conditions posées par cette directive.
Une seconde difficulté juridique tient à l’apparition et aux développement rapide du marché des NFTs.
Appelés « Non Fungible Token », ou« jetons non fongibles », ces nouveaux jetons permettent, sur la base de la technologie de la blockchain, de garantir la propriété exclusive d’un actif numérique dont la valeur marchande fluctue en fonction de l’intérêt des utilisateurs pour celui-ci.
Actuellement en plein essor, des acteurs de plus en plus nombreux et diversifiés s’intéressent à ce marché. A titre d’exemple, la NBA vend des clips vidéo de « moments culte de jeu » signés numériquement. Dans le domaine du Football, des plateformes proposent des cartes numériques à l’effigie de joueurs professionnels et permettent de gérer une équipe virtuelle.
Appelés « Non Fungible Token », ou« jetons non fongibles », ces nouveaux jetons permettent, sur la base de la technologie de la blockchain, de garantir la propriété exclusive d’un actif numérique dont la valeur marchande fluctue en fonction de l’intérêt des utilisateurs pour celui-ci.
A ce jour, il n’existe aucune règlementation juridique propre aux NFTs et puisqu’ils recouvrent diverses hypothèses d’application, plusieurs qualifications juridiques des NFTs ont été proposées.
Un NFT contenant des droits opposables aux tiers pourrait être qualifié d’actif numérique au sens des articles L. 54-10-1 et L.552-2 du CMF. Toutefois, il est important de rappeler que les articles introduits par la loi Pacte de 2019 et définissant les Utility Tokens n’ont pas été pensés pour les NFTs, mais pour les ICOs.
Les NFTs peuvent également être qualifiés de Security Tokens dès lors que l’acquéreur du NFT acquiert également des droits financiers.
La qualification d’un NFT en tant qu’œuvre d’art semble problématique dans la mesure où il apparaît délicat de considérer qu’un NFT est une œuvre de l’esprit puisque l’émission d’un jeton ne procède pas d’un processus créatif et ne porte pas l’empreinte de la personnalité de son auteur.
A l’avenir, et en raison de l’utilisation accrue de ces jetons dans divers secteurs de l’économie, couplé au développement des metaverses, ces univers virtuels, parallèles, immersifs (comme The Sandbox, le Meta de Fabebook…), il serait plus opportun de proposer une définition propre aux NFTs et de poursuivre l’encadrement de ces nouveaux « produits ».
Outre les problématiques juridiques liées aux crypto-actifs en tant que tels, il est également essentiel que les établissements bancaires prennent en compte le développement accru de ce secteur.
Dans un rapport présenté notamment par l’association ADAN (Association pour le Développement des Actifs Numériques) il a été indiqué que 8% des français auraient déjà investi dans les crypto-actifs, que ce soient les cryptomonnaies ou les NFT. La part de français détenant des actions en propre ou via des fonds serait équivalente (8%) et 30% des Français envisageraient de détenir des crypto-actifs, soit bien plus que le nombre de Français détenant des valeurs mobilières en direct.
De plus en plus de professionnels et de consommateurs détiendront, à terme, des crypto-actifs. Les banques devront également s’intéresser aux possibilités qu’elles pourraient offrir à leurs clients concernant la détention de crypto-actifs et leur conversion en monnaie Fiat (monnaie fiduciaire émis par une banque centrale). A noter que la Société Générale et Boursorama Banque ont déjà démontré leur fort intérêt pour ces nouveaux actifs numériques.
La Caisse des Dépôts et Consignations a été, quant à elle, enregistrée comme PSAN il y a quelques mois.
L’adoption de la loi Pacte a donc permis un premier encadrement des opérations liées à la blockchain et des différentes catégories d’actifs numériques en droit français. Un grand nombre de questions juridiques demeurent toutefois en suspens et il est essentiel que des réponses y soient apportées afin de garantir une sécurité tant pour les professionnels que pour les consommateurs. De même, il est désormais essentiel que les institutions bancaires puissent également faire partie du « jeu » et arrivent à déployer leurs expertises, produits et services au sein de cet écosystème.
Cette tribune a été rédigée par Antoine Larcena, Partner et Céline Moille, Senior Manager, Deloitte Société d’Avocats. Céline Moille est avocate et docteur en droit international privé, inscrite aux barreaux de Lyon (depuis 2014) et Montréal (depuis 2019). Elle a rejoint le cabinet Deloitte Société d’Avocats en avril 2021, et apporte de nombreuses années d’expérience en matière de droit des affaires, notamment en droit des contrats, droit de la concurrence et droit de la distribution. Elle accompagne ses clients lors de litiges avec les autorités de régulation et dans la mise en conformité vis-à-vis des réglementations en vigueur : sites internet, gestion des données, RGPD, etc. Céline dispose également d’une expertise pointue en matière de technologie Blockchain (traçabilité, tokenisation, crypto-actifs, PSAN, ICO…). Elle a co-fondé plusieurs LegalTech et a été la Vice-Présidente d’Avotech, une association regroupant les avocats créateurs de LegalTech.